LE CHALET OÙ L’ON BRISE LA GLACE (1) – MAISON DE THÉ, SHANGHAI

Le poète Wang Mu, des Tang, hiverne dans les monts Taibai.
Un jour que la rivière est gelée, son ami lui rend visite.
Le poète descend alors au torrent et brise la glace pour puiser l’eau du thé.

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De cette histoire ancienne est venu le nom d’une petite maison de thé rue Shaoxing¹ : Qiaobing Shanfang, ‘le chalet où l’on brise la glace’. Une des rares maisons de thé de Shanghai à être tant délicate et intimiste, qu’ouverte à qui veut bien en pousser la porte, à peine marquée dans cette rue calme par deux lanternes en bambou recouvertes de papier. L’esprit d’accueil et de partage se ressent ici dans chaque attitude.

Sous un paysage de montagnes esquissées au pinceau, une jeune fille prépare le thé. Elle verse l’infusion dans les tasses, chacune posée sur une petite soucoupe allongée en forme de nuage, en porcelaine blanche légèrement teintée de bleu. Nuage ou bateau, nous dit-elle, passant le thé de la personne qui le sert à ses invités. Bue, la tasse retraverse la table vers l’autre rive. Le thé est un Zhenghe Gongfu d’une quinzaine d’années, un thé rouge vieilli. Sa maturité assoit le moment et laisse le buveur plus songeur qu’enclin à la conversation. D’un geste élégant, elle soulève le couvercle en bambou d’une grande jarre en terre située derrière elle et remplit la bouilloire en fonte.

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Au-delà des galettes de pu’er, les étagères sont fournies de petits paniers de bambou tressé, empilés comme des briques ovales, renfermant dans une grande feuille séchée du thé An Cha, que je rencontre pour la première fois.
Mais ce que je remarque particulièrement est une attention portée au choix des accessoires. Le gongbei² à la ligne élancée en porcelaine crème, rugueuse au toucher et si ne qu’elle évoque la coquille d’un œuf. Les petits gaiwan³ blancs si simples mais parfaitement adaptés à la main. L’éclectisme des matériaux et des époques, verre dépoli et métal sans re et, du bel artisanat récent aux antiquités anoblies dans un nouvel usage, des éto es au bois, bambou et plantes séchées.

Les objets s’imprègnent ici de renqi, de caractère, littéralement, d’’énergie humaine’. Lorsqu’un de ces verres à thé de facture japonaise, en petit nombre, est demandé par un client, les exemplaires restants sont alignés sur la table à thé. Invariablement, le choix du client se porte sur celui qui était utilisé et qu’un usage attentionné et bienveillant a enrichi au quotidien.

Yann Shanghai, 2017

Notes et liens
¹ Maison de thé Qiaobing Shanfang, rue Shaoxing, Shanghai [敲冰山房 绍兴路 上海].
² Legongbei[公杯], ‘verrecommun’ ou pot à thé,reçoit l’infusion de la théière ou du gaiwan. Cette étape homogénéise l’infusion avant qu’elle ne soit versée dans les tasses, le thé que reçoit chaque convive étant alors de la même intensité.
³ Le gaiwan [盖碗] est une tasse à couvercle en porcelaine, souvent utilisé pour les thés verts mais aussi les pu’er et certains wulong. Il permet notamment un versement plus rapide pour les thés demandant des premières infusions très brèves. Tenu d’une seule main, le couvercle retient les feuilles lorsque l’on verse l’infusion. Des thés verts sont aussi appréciés directement au gaiwan, en particulier dans le Sichuan. Ils sont alors moins dosés car les feuilles restent plus longtemps dans l’eau.

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Xi Hu Long Jing

Issus de ses contacts directs avec les producteurs locaux de Mei Jia Wu, Lu Shan propose ici des thés de récoltes printanières. Ces premières récoltes de l’année, après la période de dormance et de régénération des théiers, portent en elles les notions de fraîcheur et de constant renouvellement de la nature. Ces thés vont donc réveiller en nous des élans similaires: fraîcheur, renouveau, enthousiasme…

Scènes n°9

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